Les mathématiques citoyennes
Grâce à mon collègue Martin Noël, j’ai récemment découvert un petit bijou de livre intitulé Petit cours d’autodéfense intellectuelle publié aux éditions Lux en 2005. Écrit par Normand Baillargeon, professeur à l’UQAM, ce bouquin présente divers outils pour affiner la pensée critique. En d’autres mots, il invite le lecteur, dans sa vie citoyenne, à ne pas tout « gober » ce qu’il voit, lit ou entend, que ce soit dans son entourage, dans les médias ou encore dans les écrits dits scientifiques.
Si j’en parle dans le blogue de SOM, c’est que le livre comporte un chapitre sur ce que Baillargeon appelle les « mathématiques citoyennes ». Il y est question des notions élémentaires de statistique et de probabilités que toute personne devrait connaître pour éviter de se faire berner ou manipuler par des chiffres qui sont parfois, disons-le, « habilement » présentés. De fil en aiguille, l’auteur aborde évidemment le sondage et les différents pièges qu’il recèle pour qui est inattentif. Aux pages 165 à 167, il émet des « règles d’or » qui prennent la forme de questions à se poser pour évaluer la crédibilité des données qui nous sont présentées. Je prends la liberté d’en reproduire quelques-unes ici.
À propos de la source de l’information
• Qui a produit ces données? La personne qui les présente elle-même? Ou quelqu’un d’autre?
• En son nom personnel ou au nom d’un organisme? Quelle est la réputation de cet organisme?
• A-t-il ou non des intérêts dans la question discutée ou encore un agenda plus ou moins caché?
• A-t-il fourni les données, leur interprétation ou les deux?
• Nous propose-t-on une interprétation des données distincte de celle avancée par l’instance qui les a produites?
• Quels biais, conscients ou inconscients, pourraient affecter la présentation des données?
• Combien de cas ont été étudiés? Comment les a-t-on réunis? Est-ce suffisant?
À propos du contexte
• Les données sont-elles contextualisées ou non? Si c’est le cas, est-ce pertinent?
• Que savez-vous du sujet dont il est question?
• Connaissez-vous d’autres données se rapportant au même sujet qu’il serait utile de garder en mémoire aux fins de comparaison?
À propos du sondage
• Quel sujet aborde ce sondage? Ce sujet intéresse-t-il ou préoccupe-t-il vraiment les gens?
• Quel public a été étudié?
• Quelles méthodes d’enquête, d’échantillonnage, d’analyse ont été retenues?
• À quelle(s) date(s) l’enquête a-t-elle été faite?
• Quel est le taux de réponse? Combien de personnes ont été interrogées?
• Quelles questions leur ont été posées? Ces questions sont-elles claires? Sont-elles tendancieuses?
• Comment, dans quelles conditions et dans quel ordre les questions ont été posées aux sondés?
• Comment la question des indécis a-t-elle été abordée?
• Qui a commandé cette enquête et qui en a remboursé les coûts?
• Combien de personnes ont refusé de répondre à chacune des questions?
• Quelles sont les limites de l’interprétation des résultats obtenus?
Évidemment, le lecteur a rarement accès à toute cette information, surtout si les résultats du sondage sont rapportés dans les médias. Certaines questions sont d’ailleurs moins pertinentes – le néophyte ne saurait peut-être pas quoi faire des réponses. Toutefois, une méthodologie la plus détaillée possible facilite l’interprétation des résultats et l’évaluation de la crédibilité d’un sondage. Une firme de sondage sérieuse a donc tout avantage à être transparente dans la publication de ses résultats.
5 réponses à “Les mathématiques citoyennes”
Le sondage restera complexe à évaluer même s’il répond à tous les critères énumérés plus haut. Le vrai défi c’est souvent l’interprétation des sondages. Par exemple : le répondant se déclare en faveur des politiques environnementales, mais n’est pas disposé à en assumer le coût. Il est contre la malbouffe, mais mange chez Burger King trois fois par semaine.
Même si un répondant peut être mu par des motivations complexes, il n’en demeure pas moins cohérent. Les répondants ne sont pas tous des déficients mentaux. Comment alors interpréter ces résultats? Qui doit s’en charger?
De toute évidence, contrairement à ce que laisse entendre le texte précédent, l’interprétation des sondages est un investissement que le lecteur n’est pas disposé à faire. Pourquoi? Parce que, pour un individu laissé à lui-même, l’investissement qu’il devrait faire pour y arriver est largement supérieur aux gains anticipés (ignorance rationnelle). Il préférera prendre au pied de la lettre ce qui lui est proposé par la firme de sondage.
Ma question: Comment le lecteur peut-il s’assurer de la qualité de l’interprétation d’un sondage?
Il est certain que, à moins que le sujet ne le touche de près et qu’il puisse retirer un gain d’une telle action, le lecteur n’investira pas temps et énergie à interpréter les résultats d’un sondage. Il prendra généralement pour acquis les résultats et l’interprétation qui lui sont communiqués.
Lorsque vous dites : «… prendre au pied de la lettre ce qui lui est proposé par la firme de sondage», c’est plus ou moins vrai. En effet, il est rare que ce soit les firmes de sondage elles-mêmes qui communiquent des résultats de sondage. Généralement, les sondages auxquels les citoyens ont accès transitent par les médias. Ceux-ci en offrent bien souvent leur propre interprétation, faisant parfois le choix de mettre en lumière les résultats les plus propices à la nouvelle au détriment des résultats les plus significatifs.
Mais pour revenir à votre question, plusieurs indices peuvent vous aider à savoir si vous pouvez faire confiance à l’interprétation d’un sondage. Par exemple, lorsque l’auteur (ou la firme) :
-possède les compétences nécessaires pour interpréter correctement les résultats;
-est objectif à l’égard du sujet – n’est pas partie prenante dans un débat (se tient loin des conflits d’intérêt ou des apparences de conflits d’intérêt);
-est transparent à l’égard de la méthode utilisée;
-a fait ses preuves par le passé en fournissant des analyses justes et pertinentes;
-présente une analyse argumentée, nuancée et cohérente;
-détient une réputation solide de rigueur et de crédibilité.
Merci de le partager comme lecture, qui m’a l’air très intéressante.
J’aime le fait qu’ils ont « designé » le livre dnas les couleurs des livres pour les « Nuls ». Ça m’accroché l’oeil tout de suite.
Un livre pour permettre à tous de ne plus être un mouton suiveux.
@Dean : De rien!
Un livre passionnant, qui fait la part belle à l’esprit critique en montrant comment les mathématiques peuvent participer à « une certaine manière de présenter les choses »… On est très loin de la soupe servie à nos élèves dans les manuels scolaires et dont la principale « qualité » est de leur faire ingurgiter des recettes au lieu de leur donner des outils de « décryptage du monde »…