Médias sociaux et recherche marketing (3) : et l’éthique dans tout ça?

Médias sociaux et recherche marketing (3) : et l’éthique dans tout ça?

Confidentialite-donnees2Pour faire suite à mes billets précédents sur les médias sociaux, je réfléchis aujourd’hui aux considérations éthiques qui vont de pair avec ces nouvelles pratiques. Il apparaît évident que l’analyse des contenus des médias sociaux à des fins de recherche marketing pose de toutes nouvelles questions en matière d’éthique.

Le caractère public de l’information

Généralement, lorsqu’une information est publique, il est possible de l’utiliser à certaines conditions (en citer la source par exemple). À première vue, toute information diffusée sur le web devrait être considérée comme une information à caractère public. Mais est-ce vraiment le cas?

À tout le moins, est-ce vraiment perçu ainsi par l’individu qui poste un commentaire? A-t-il bien compris la façon de paramétrer ses options de confidentialité? Si un internaute poste un commentaire dans un groupe Facebook, n’a-t-il pas l’impression qu’il s’adresse uniquement à un public restreint? La frontière entre sphère publique et sphère privée peut parfois apparaître floue. Tom Webster a publié une réflexion très intéressante à ce sujet sur le blogue de BrandSavant. Je me permets d’en citer un extrait :

The average citizen of this country might know that what they post on Facebook is potentially public, but they don’t know just how much of their complete social graph, including location and income, can be strung together across numerous sites with little more than a couple of usernames, an email address and potentially a zip code.

Le consentement libre et éclairé

Comme je l’ai déjà dit, le consentement libre et éclairé est un des principes fondamentaux de l’éthique de la recherche. Or, dans le cas qui nous occupe, les propos exprimés sur les médias sociaux sont souvent utilisés sans le consentement de leur auteur. Ainsi, les propos publiés dans un contexte donné sont en quelque sorte «détournés» pour servir un autre objectif – celui de la recherche marketing. Faut-il voir là une brèche à l’éthique de la recherche?

Qu’en pensent les principaux intéressés? Selon un sondage effectué par Jeffrey Henning de Vovici, les avis sont assez partagés. Mais parmi ceux qui désapprouvent ces pratiques, on retrouve les commentaires suivants :

  • A little too close to «Big Brother is watching».  But you should know enough to never post if you don’t want others to read it.
  • I don’t like that they invade our privacy in the first place. If we wanted them to know, we would contact them.
  • I like nothing about this.  If it is social media, it should be social media and not for research.

Cela dit, d’autres techniques de recherche (comme l’observation directe ou participante utilisée en sociologie notamment) font parfois fi du consentement éclairé : dans certains cas, la recherche est dissimulée aux participants afin d’éviter les biais (voir ce billet d’Annie Petit). Ne s’agit-il pas d’un dilemme éthique semblable?

La confidentialité

En recherche, nous sommes tenus d’assurer la plus stricte confidentialité des renseignements qui nous sont fournis. SOM a d’ailleurs une politique de confidentialité très élaborée qui garantit aux répondants qu’ils ne pourront être identifiés.

Dans un rapport de recherche, il est fréquent de citer un commentaire ou une opinion exprimés par un participant. Dans ce cas, le commentaire est anonyme et on s’assure que la nature des propos ne permette pas d’identifier le participant. Peut-on faire la même chose avec les propos extraits des médias sociaux? Le problème, c’est qu’avec notre bon vieux Google, cette information peut facilement être retracée… et conduire à l’identification du participant. Dans ce cas, adieu la confidentialité!

Bien sûr, plusieurs argueront que l’individu a choisi de rendre publique une information et que, de ce fait, la confidentialité n’a pas à être préservée.

Dossier à suivre…

Je suis bien consciente que je pose plus de questions que je n’apporte de réponses. Mais le sujet est trop important pour y apporter des solutions faciles. Fait intéressant, le Council of American Survey Research Organizations (CASRO) a mis sur pied un groupe de travail dont le mandat est d’étudier les enjeux éthiques et méthodologiques associés à la recherche qui utilise les médias sociaux (Social Media Research). Leurs conclusions et recommandations seront certainement très attendues.

Et vous, que recommanderiez-vous?

À lire aussi :

6 réponses à “Médias sociaux et recherche marketing (3) : et l’éthique dans tout ça?”

  1. Bon billet Julie, sur un sujet délicat dont il faut conscientiser.

    Ce que je trouve le plus navrant voire décourageant parfois à propos de l’éthique en recherche, c’est le décalage grandissant entre ce qu’il est possible de faire d’un côté en matière de recherche commerciale – bien souvent trop à la limite de l’éthique pour être euphémique mais sans institution pour la régir – et de l’autre, l’ensemble des contraintes qui sont imposées sur les comités d’éthique universitaires par la politique des trois conseils de recherche du Canada ou son interprétation, et qui rendent certains types de recherche de plus en plus difficiles à réaliser…Cette disproportion aux deux extrémités finira par nuire à la recherche tout court, fondamentale et appliquée, car c’est la première qui développe les méthodologies qui servent à la seconde…et dieu sait si en matière de médias sociaux, il y a du défrichage et balisage méthodologique à faire avant de parler de résultats fiables et valides…

    Bien hâte de lire le rapport du groupe de travail du CASRO. Merci pour ce pointeur 🙂

  2. Je pense que la question est pertinente, mais j’ai toujours trouvé qu’on exagérait les atteintes à la vie privé dès qu’il était question de nos actions en ligne.

    Prenons l’exemple où une entreprise fabricant des cafetières espresso décide d’analyser ce que les gens disent sur Twitter afin de comprendre ce que les utilisateurs reprochent en général aux cafetières espresso. Après avoir analysé des milliers de commentaires, cette entreprise conclue que les gens trouvent qu’une cafetière espresso est généralement difficile à nettoyer et que la préparation d’un café prend trop de temps. Le fabricant décide alors de vérifier cette information par un sondage 🙂 en bonne et due forme afin de vérifier s’ils devraient concevoir une cafètière espresso plus simple à utiliser et à nettoyer. Même si ces utilisateurs de Twitter n’ont pas été consultés, en quoi leur vie privée est-elle brimée par cette analyse?

    Imaginons un deuxième exemple: une autre entreprise décide de compter le nombre de passants dans différentes artères de la ville afin de décider du meilleur endroit pour louer un local pour vendre son café. A-t-on demander aux passants s’ils acceptaient d’être comptés? Est-ce une atteinte à leur vie privée de le faire? Pourtant, dans les deux cas, une personne fournit une information marketing sans jamais accepté explicitement de la fournir.

    Dans les deux cas, la clé à mon avis réside dans le fait que la vie privée des personnes n’a jamais été touchée tout simplement parce que les données ont été utilisées de façon anonymes (même si théoriquement, dans les deux cas, les personnes pouvaient être identifiées dans le processus).

    Ceci dit, comme fournisseur de services et non chercheur marketing, je suis content de ne pas avoir à m’embarasser de ces considérations, car ce sont des questions très délicates.

  3. @Sandrine : Merci pour ton intervention Sandrine. En effet, il se fait un peu de tout et de n’importe quoi en matière de recherche avec les médias sociaux. Nous avons besoin d’une réflexion approfondie tant sur les enjeux éthiques que méthodologiques associés à ce type de recherche. J’irais même jusqu’à dire qu’il nous faut réfléchir à une définition claire de ce qu’est la recherche avec les médias sociaux!

    @Pascal : Tu as raison, il ne faut pas exagérer l’atteinte à la vie privée! Mais en même temps, c’est une préoccupation qu’on ne peut passer sous silence. Les exemples que tu donnes sont plutôt inoffensifs. Mais prenons l’exemple d’une recherche sociale qui porterait sur certains comportements déviants (ou à tout le moins réprouvés par la société)…

  4. Merci Julie pour cette trilogie fort intéressante et étoffée!
    Je suis comme vous de prés l’usage des médias sociaux à des fins de recherche et disant le point de l’éthique (qui me tient le plus à cœur) est rarement abordé. Bravo !
    Je m’abstiens de commenter ou d’argumenter davantage en présence de spécialistes comme vous, mais je désire juste faire un petit prolongement en espérant que ce dernier vous soit utile :
    Il y a deux jours le MRA-Marketing Research Association a publié « Guide to the Top 16 Social Media Research Questions. »
    La raison d’être d’un tel document selon la MRA dans ses propres mots est : « In response to the exploding use of social media research, both inside and beyond the traditional survey and opinion research profession »
    Comme vous le constaterez en parcourant le document, certaines Questions, font allusions à nos inquiétudes éthiques.
    En prenant exemple sur CASRO et MRA, j’espère que l’ARIM-MRIA à son tour se penche sur le sujet et instaure ses règles pour éviter le cafouillis mais (de grâce) cette fois-ci que cela se fasse de concert avec tous les artisans et joueurs dans ce « nouveau » créneau
    Voici le lien du communiqué avec document.
    http://bit.ly/cmBeqQ
    Merci encore une fois Julie, toujours un grand plaisir à lire vos billets « Punchés ».

  5. @Saber: Merci pour votre commentaire! J’ai effectivement vu passer le document en question (vive la rapidité de circulation de l’info sur Twitter!) et l’ai fait imprimer, mais je n’ai pas eu le temps de le lire encore. Si le contenu le justifie, j’en parlerai dans un prochain billet. Et comme vous le dites, il serait temps, si ce n’est déjà fait, que l’ARIM s’intéresse au dossier!

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *