Peut-on être «trop» éthique?

Peut-on être «trop» éthique?

Pensée-éthique2J’en conviens, la question peut paraître étrange à première vue : comment pourrait-on être trop éthique en recherche? Évidemment, je ne remets pas en question le respect des principes éthiques de la recherche. Mais je me questionne sur la façon dont on les applique parfois – et je parle ici des principes éthiques à l’égard des sujets qui participent à la recherche (ex. : répondants). Sur le plan pratique, il arrive que la «sur-éthique» nous joue des tours.

Éthique de la recherche : les origines

Les principes éthiques qui guident la recherche aujourd’hui tirent leur origine du procès de Nuremberg (1945-1946) intenté contre les principaux dirigeants de l’Allemagne nazie. Parmi les accusés, on retrouvait plusieurs médecins ayant mené des expériences sur les détenus des camps de concentration. Le code de Nuremberg (1947), élaboré à l’issue du procès, regroupe dix principes éthiques à respecter lors d’expérimentations avec des sujets humains.

De la recherche médicale à la recherche sociale

Le code de Nuremberg a inspiré la majorité des disciplines :

Les normes [éthiques] développées pour les sciences biomédicales ont progressivement été revues et appliquées aux sciences du comportement. Les associations professionnelles ont peu à peu adopté des règles de conduite professionnelles.1

Le principe clé : le consentement libre et éclairé

Bien que plusieurs normes éthiques doivent être respectées en recherche, la première et certainement la plus fondamentale est le consentement libre et éclairé du «sujet humain».

  • Le consentement est dit libre lorsqu’il est exempt de toute pression de la part d’un tiers (ex. : chercheur).
  • Le consentement est dit éclairé lorsque le participant connaît la nature et l’objectif de la recherche, ses avantages et ses risques ainsi que la portée de son consentement (source : Commission de l’éthique de la science et de la technologie, document PDF).

Différents types de recherche, différentes considérations éthiques?

La façon d’appliquer les principes éthiques doit-elle toujours être la même? La recherche sociale et la recherche marketing comportent-elles le même niveau de risque que la recherche biomédicale? La réponse évidente pour moi est non : il n’y a pas de commune mesure entre le fait de poser des questions (sondage) et le test d’un nouveau médicament par exemple!

Alors que ce dernier peut entraîner des réactions physiologiques, les conséquences négatives de la plupart des sondages se limitent généralement au temps qu’il faut consacrer à l’enquête et au stress qui pourrait se manifester à cause de l’entrevue (ex. : sujet très personnel, incompréhension du vocabulaire utilisé)2. Dans ce contexte, tout en respectant les normes éthiques, ne peut-on pas adopter une approche moins restrictive dans certaines situations?

Lorsque «trop» d’éthique nuit à la recherche

Vous vous demandez probablement où je veux en venir… Mais voici un exemple concret. Il nous arrive régulièrement d’effectuer des sondages dont la méthodologie – et en particulier le questionnaire – doit être approuvée par un comité d’éthique.

Or, les exigences des comités d’éthique sont parfois exagérées (et je pèse mes mots). Résultat? Des questionnaires dont l’introduction est beaucoup trop longue, qu’on doit absolument lire en entier, et qui offre de multiples occasions au répondant de refuser. Les conséquences sont les suivantes :

  • Des taux de refus très élevés (donc des taux de réponse bas, ce qui nuit à la qualité des données);
  • Des répondants parfois très irrités qu’on leur lise un texte aussi long d’entrée de jeu (imaginez que vous répondez au téléphone et qu’une personne vous lit un texte de plus d’une page pour vous expliquer à quel point la recherche est éthique…).

Les comités d’éthique semblent inconscients de ces conséquences désastreuses sur la collecte téléphonique. De leur côté, les chercheurs exigent (avec raison) des taux de réponse élevés afin d’obtenir les résultats les plus valides possible. Malheureusement, les exigences des comités d’éthique et des chercheurs sont contradictoires. Dans ces conditions, c’est mission impossible : pour obtenir de très bons taux de réponse, il faut entrer dans le vif du sujet à l’intérieur de la première minute.

Bref, je ne suis pas la seule à le dire, les pratiques actuelles de certains comités d’éthique nuisent à la recherche par sondage.

Notes
1 Jean Crête, «L’éthique en recherche sociale» dans Recherche sociale : de la problématique à la collecte des données (Benoît Gauthier, dir.), 2e édition, p.228.
2 Idib., p. 235.

2 réponses à “Peut-on être «trop» éthique?”

  1. Je suis tout à fait d’accord, les longues introductions irrittent la plupart des répondants.

    La façon que j’ai trouvée de régler ce problème est d’envoyer une lettre aux répondants pour les aviser de la tenue du sondage dans laquelle on les informe de leurs nombreux droits.. Ça permet de réduire au minimum l’introduction de l’entrevue téléphonique.

    Évidemment, il faut posséder un fichier d’usagers incluant l’adresse des clients. De cette façon on obtient des taux de réponse très élevés, les répondants sont préparés à répondre au sondage (meilleure qualité des réponses) et on réduit la durée de l’entrevue de presque 30 secondes ce qui permet de payer une bonne partie des frais d’envoi de la lettre et … le comité éthique est enchanté!

  2. Tu as bien raison Sylvain, la lettre peut aider, en autant qu’elle soit bien faite, comme le souligne l’article auquel Julie réfère dans son dernier paragraphe. Par contre, comme l’auteur le mentionne, si on abuse de détails légaux, l’effet peut aussi être catastrophique….

    Éric Lacroix
    VP Solutions web, SOM

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